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La biodiversité : c'est quoi ?

Comprendre la biodiversité alors que vient d’être publiée la stratégie nationale de la biodiversité.

En ces temps de changement climatique, je m’inquiète plus de la question de l’érosion de la biodiversité. Je consacre donc mes premiers articles à ce sujet qui m’a par ailleurs toujours passionné.

Le premier point à aborder est ce à quoi correspond le concept de biodiversité. Celui-ci est en effet bien plus large et moins scientifique qu’il n’y parait.

Il vous semble évident ? Pourtant il ne l’est pas.

Durant mon cursus en biologie j’ai eu à travailler sur les indicateurs de biodiversité comme marqueurs de la restauration des écosystèmes. Je crois que c’est le concept le plus complexe qu’il m’ait été donné d’appréhender. Pour une référence scientifique vous pouvez retrouver dans ce très bon article du courrier de l’environnement de l’INRA de 2008.


La biodiversité recouvre en effet plusieurs échelles et plusieurs dimensions correspondant à plusieurs spécialités scientifiques, ce qui en fait un concept complexe. Voyons ces échelles et leurs dimensions :

La plus petite échelle repose sur la diversité génétique des individus et des populations au sein d’une même espèce. Celle-ci peut être plus ou moins grande (par exemple l’humanité présente une grande variabilité génétique d’un individu à l’autre alors que certains lézards se reproduisant par parthénogénèse (clonage pour faire simple) présentent une variabilité très faible. Ce cas est aussi celui d’espèces ayant traversées un goulot d’étranglement dans le passé, c’est à dire une réduction massive du nombre d’individus la composant avec pour résultat une forte consanguinité induisant une ‘purge » des gènes délétères. Il ne reste alors que des gènes non délétères mais en général (il y a toujours des exceptions en biologie :)) une très faible diversité.

Cette biodiversité génétique est cruciale dans la capacité d’adaptation des espèces au changements de l’environnement. En offrant des caractéristiques différentes (taille, apparence, métabolisme, comportement, …) aux individus au sein d’une même espèce, cette échelle de diversité permet d’augmenter les chances de survies en cas de modification des conditions de milieu. Cette diversité est principalement permise par la reproduction sexuée. La combinaison entre modifications des conditions de milieux et survie des individus ayant la combinaison génétique la plus apte à faire face à de nouvelles conditions est le moteur de base de la sélection naturelle et de l’évolution des espèces.

Toutefois, un premier facteur de complexité dimensionnel (géographique) vient impacter ce principe simple : la diversité génétique de l’espèce n’est pas nécessairement uniforme sur le territoire occupé par l’espèce ni équitablement répartie entre les individus. Ainsi les tests en vogue d’analyse génétique consistant à déterminer les origines de vos aïeux à partir de votre génome reposent sur la distribution géographique historique de certaines mutations qui sont plus représentées dans la zone géographique où elles ont apparu. De même certaines variantes génétiques sont peu représentées dans la population générale quand d’autres sont très majoritaires.

Alors que retenir de tout cela ?

Qu’il y a une diversité à l’intérieur de chaque espèce et que plus cette diversité est grande meilleures sont les chances de survie de l’espèce dans un monde en transition.  Ce qui explique que la diminution du nombre en valeur absolue des animaux sauvages est très inquiétante sur une terre soumise à un changement climatique rapide et cela même si le nombre d’individus résiduel peut sembler important. La perte de sous-espèces ou de variétés réduit la diversité génétique de l’espèce dans son ensemble également.

La diversité génétique des espèces dépendant principalement de la reproduction sexuée et donc du déplacement des animaux (ou du transport du pollen pour les plantes et des spores de manière plus complexe pour les mousses et champignons) est un enjeu majeur de maintien de la diversité génétique. D’où les difficultés induites par les infrastructures créant des ruptures au sein des milieux (route, lignes de chemin de fer, canaux mais aussi rivières) car elles viennent séparer des populations et donc réduire ou empêcher leur mélange génétique. Ce processus peut aussi permettre de donner naissance à de nouvelles espèces dans un temps long et si les deux populations séparées sont viables (c’est le cas des chimpanzés et des bonobos séparés par le fleuve Congo). De là vient l’enjeu de maintenir et reconstituer les continuités écologiques au travers des trames vertes et bleues pour éviter l’isolement en sous-populations trop petites pour être viables et exposées au risque de consanguinité accrue.


La seconde échelle est la biodiversité spécifique (souvent celle que perçoit le grand public et les médias quand on évoque ce terme). Elle est formée par les différentes espèces vivant sur terre.

Les espèces présentent dans un lieu dépendent principalement de la géologie et du climat du lieu. La géologie et le climat déterminant en particulier le type de sol en place. On parle de cortèges d’espèces qui forment un écosystème. Sur un même sol et avec un climat identique, en l’absence d’intervention humaine on va retrouver les mêmes espèces formant le même type d’écosystème. Si un incendie passe par là ou qu’une coupe rase est effectuée, il se produira toujours à peu près la même succession végétale : colonisation par les espèces pionnières locales supportant les conditions de milieu après l’événement (forte luminosité, chaleur, moindre humidité…) puis, peu à peu, à l’abri des pionnières, reviendront les espèces formant l’écosystème le plus développé pour le lieu.

Par exemple les hêtres et les sapins à l’étage Montagnard de nos forêts. Mais aussi, avec eux, les frênes, érables, épicéas, arbustes, herbacées, mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles, insectes, mousses, lichens, champignons, bactéries, qui vivent ensemble et dépendent tous plus ou moins les uns des autres.

En effet, les espèces ont développé des relations de nature variable mais souvent très fortes entre elles (les abeilles qui pollinisent les fleurs, les écureuils qui dispersent les graines, les champignons qui s’associent aux racines pour former des mycorhizes, ou encore le pic noir qui fabrique des habitats utiles pour plusieurs autres espèces par son comportement (creuse des trous dans les arbres). Aujourd’hui tout le monde connait ces mécanismes fonctionnels qui permettent à l’écosystème de maintenir son équilibre dynamique.  

Il n’y a pas de bon et de mauvais écosystème. L’ensemble est une organisation du vivant qui optimise le flux d’énergie solaire reçu pour produire de la matière organique – du vivant. En effet, à la base de presque tous les écosystèmes, il y a la photosynthèse réalisée par les plantes et plus le couvert végétal est dense et stratifié, plus le pourcentage d’énergie solaire capté est important, plus il y a d’habitats différents pour les espèces animales etc. ainsi un écosystème est avant tout régi par un système de flux d’énergie, comme le reste de l’univers.

Retenons toutefois que plus un écosystème donné est diversifié, plus il est résilient. Ceci pour la simple raison que l’absence ponctuelle ou la diminution d’une espèce en son sein va être compensée par la présence d’autres espèces remplissant plus ou moins efficacement le même rôle dans la chaîne (le flux). Toutefois certaines espèces sont dites « clés de voûte » car leur disparition est si pénalisante qu’elle engendre un effondrement partiel ou total de l’écosystème en question. D’autres espèces sont totalement inféodées les unes aux autres, comme par exemple les symbioses entre certaines plantes et insectes qui font qu’une seule espèce d’insecte peut polliniser une espèce de plante spécifique : si l’insecte disparaît, la plante est condamnée à moyen terme. Et réciproquement.

Mais là encore, cette échelle présente une variabilité dans la dimension spatiale : quelle est l’abondance de chacune des espèces au sein de l’écosystème ? Ainsi, si on réalise des recensements exhaustifs des espèces présentes dans un milieu a priori identique en termes de géologie, de climatologie, d’exposition, on va retrouver le même cortège mais pas forcément dans les mêmes proportions. Il en résulte une diversité de niches écologiques au sein d’un cortège pourtant identique. À quoi s’ajoutent les mille et une variations d’exposition et de sol qui vont induire l’apparition et la disparition d’espèces en limites de leur habitat dans le cortège classique de ce milieu.

Enfin, certaines espèces ne peuvent survivre dans un écosystème donné que si sa superficie est assez vaste pour accueillir une population pérenne. C’est le cas d’animaux ayant besoin de vastes territoires comme les lynx : ces derniers ne pourront jamais prospérer dans une forêt parfaite pour eux en composition mais trop petite en surface.

Toutes ces variations créent des conditions de vie différentes qui permettent d’enrichir la composition de l’écosystème.

Du bon fonctionnement de ce dernier dépend la qualité des services qu’il rend. Plus un écosystème est proche de son équilibre dynamique optimum, plus les services rendus sont efficaces.

Mais quels services me direz-vous ? Eh bien l’absorption et la rétention des eaux de pluies, l’absorption des polluants, la régénération des sols, un rôle climatique indéniable (on parle de biogéoclimat pour décrire le croisement des conditions géographiques, biologique et climatique). C’est ce qui explique que la forêt amazonienne pourrait se transformer en steppe si elle est trop fragmentée et sa surface trop réduite, car la forêt participe à créer son propre climat.

C’est pourquoi crise climatique et érosion de la biodiversité entrent dangereusement en synergie.

La biodiversité au sein d’un écosystème est donc une source de richesse, de stabilité, de productivité et fournit un environnement adéquat aux espèces qui le composent. Il s’agit aussi d’une diversité des flux de matière, de graines, d’eau, de chaleur, et in fine d’énergie.

On comprend bien que la disparation d’une ou plusieurs espèces dans un écosystème va engendrer des déséquilibres dans son fonctionnement. Par exemple en l’absence de prédateurs naturels les herbivores vont se développer sans limites autre que l’épuisement de la ressource alimentaire menant à l’arrêt de la régénération puis à la dégradation du milieu.


La troisième échelle de biodiversité s’appréhende à l’échelle du paysage ou des écocomplexes c’est-à-dire de l’assemblage des différents écosystèmes entre eux. Par exemple la présence de lacs, d’étangs, de cours d’eau, de prairies, d’alpages, de falaises et de forêts entremêlées va fournir un éventail de milieux permettant à certaines espèces de se développer car elles ont besoin de différents milieux pour se nourrir, se reposer, se reproduire etc. Ainsi la diversité des paysages va influer sur la richesse et la diversité des écosystèmes qui le compose.

De plus, l’enchevêtrement des écosystèmes assure des flux vitaux entre eux. Par exemple, pendant des millénaires, avant sa régulation par les barrages, la crue du Nil a apporté des limons enrichissant les sols des terres environnantes (un service écosystémique qui n’est plus rendu et que l’on remplace par l’usage d’engrais apportés).

Ainsi, préserver un écosystème seul est souvent insuffisant pour éviter la disparition d’espèces voir pour sauvegarder le milieu lui-même.

Les écocomplexes comportent aussi une dimension horizontale qui fait que deux assemblages des mêmes écosystèmes ne présenteront pas les mêmes caractéristiques et c’est bien sûr l’importance relative de chaque écosystème au sein de l’écocomplexe et leur fractionnement. Ainsi un paysage composé de lacs, de sapinières et de clairières n’offrira pas les mêmes caractéristiques s’il y a 70% de lacs, 20% de sapinières et 10% de prairies que s’il y a 60% de prairies, 30% de forêts et 10% de lac. Enfin, la fragmentation et l’intrication des écosystèmes au sein de l’écocomplexe est aussi à considérer. S’il y a un lac, une forêt et une prairie, l’écocomplexe sera très différent de celui composé d’une myriade de lacs, prairies et forêts entremêlées. Et plus la complexité est grande, plus – en général – la diversité est forte.

L’échelle Gaïa : car, enfin, tous les écocomplexes interreliés entre eux forment la biosphère et contribue à déterminer les flux de matières, d’énergie et participent à la relative stabilité des conditions de vie sur terre. Pour reprendre le cas de l’Amazonie les poussières emportées par les vents depuis le Sahara qui contribuent à la fertilité des sols de la forêt située à des milliers de kilomètres de distance de l’autre côté d’un océan.

C’est tout ce maillage d’échelles et de complexité et les services biologiques qu’ils rendent qui fait de la terre un vaisseau spatial habitable par l’homme en régulant la composition atmosphérique, participant à la stabilité relative du climat, régénérant les sols, redistribuant l’eau, la matière organique et minérale ou plus globalement l’énergie.

À cette complexité de nature s’ajoute la difficulté de la connaissance : la science ne connaît pas toutes les espèces loin s’en faut, ni tous les génomes de chaque espèce connue de très loin.

Alors comment protéger la biodiversité ?

Ce sera l’objet de mon prochain article